Updated August 9, 2021
Jiddu Krishnamurti, A mind that is free
"Qu'est-ce qu'un esprit libre?" Extrait d'une allocution publique à Brockwood Park, UK, 1976
Non, ce n'est pas Heidegger. C'est mieux.
Ce qui nous préoccupe, c'est la transformation, la révolution psychologique totale de cette conscience et pour explorer cette question, il faut déployer beaucoup de force mentale, et cette vigueur naît quand il n'y a pas de dissipation d'énergie. On perd de la vigueur mentale chaque fois que l'on cherche à vaincre ce qui est, à nier ce qui est, ou à l'analyser, parce que l'analysant est l'analysé.
Tout homme est en quête d'expérience. Il cherche à vivre autre chose que son quotidien. Nous nous ennuyons, nous sommes fatigués ou nous en avons assez de toutes les expériences que nous faisons dans la vie, et nous espérons saisir un vécu qui ne soit pas le produit de la pensée.
"Vécu" signifie "aller jusqu'au bout", aller jusqu'au bout d'une chose et la terminer. Ça ne veut pas dire se remémorer la même chose et y revenir constamment. C'est pourtant ce que nous faisons.
Je vous demande d'être attentifs à ceci: un esprit qui exige de vivre autre chose que ce qu'il vit dans son quotidien physique et psychologique, qui exige quelque chose de bien plus grand et au-dessus de tout cela... eh bien, il ne fera l'expérience que de ses propres projections. Ainsi, ce vécu restera machinal, matérialiste, le produit de la pensée.
Donc, lorsque vous n'exigez rien, qu'il n'y a ni déformation ni illusion, et que l'on a compris toute la signification du désir (le désir est aussi une distorsion), lorsque vous cherchez à examiner quelque chose, alors seul, l'esprit est enfin capable de se regarder sans aucune distorsion, comme vous voyez votre visage dans un miroir clair, la structure de la conscience étant libre. Le miroir reflète exactement ce qu'est votre visage. Il n'y a pas de distorsion à moins que le miroir ne soit déformé."
Exister est une affaire mystérieuse. Le mystère (autre nom de la complexité ou de l'inconnu) exige une concentration intense. Nous vivons une ère de divertissement intense.
Se débarrasser de la technique?
Il est difficile d'être technophobe aujourd'hui. Le web 2.0 permet d'accéder et de diffuser des informations utiles et de combler le fossé géographique qui nous sépare de nos proches lors des pandémies. Mais la technologie hypermoderne ne fait que refléter notre désir mordant d'échapper à notre finitude, et ainsi, déforme notre vision du réel.
Bien que plus spirituelle, la philosophie de Jiddu Krishnamurti fait écho à la mise en garde de Heidegger. Dans La Question de la Technique, le penseur allemand oppose à la capacité de penser de l'homme l'essence même de la technologie, limitante, réifiante, distrayante. Une lecture visionnaire, si l'on considère les effets de la cupidité financière, de l'inculture scientifique et autres conspirationnismes sur notre monde devenu hyper-technologique soixante-dix ans plus tard.
La Question de la Technique est un exercice philosophique délicieux, une monstration, dans le jargon des phénoménologues, un art dans lequel Heidegger et Krishnamurti excellent tous deux. Une monstration réussie est dense mais paisible. Son observation d'un événement culmine en alétheia, ce moment où l'observateur prend conscience du plus- vrai-que-l'évidence. "Monstration" nous a donné le mot "monstre".
Si votre intellect endure et survit aux monstrations de Krishnamurti et Heidegger, vous en aurez fini avec les selfies. Finies aussi les stories, votre vie simplifiée en 280 caractères et vos jolies assiettes pleines de nourriture dont le bio ne peut être capturé que par le filtre instagram adéquat. Quelque chose se révélera à vous, une chose que vous ne pourrez plus ignorer, une déformation ou distorsion de soi, une grosse difformité.
Plus d'entre-soi technologique familier ou forcené. Terminé. Vous gagnerez en clarté, en spatialité intérieure, en vigueur et souplesse intellectuelles, en clarté.
Documenter sa vie n’empêche pas de mourir. C’est la mort, le problème. Sa signification, sa raison d'être, son vouloir dire.
Tant que nous n'aurons pas résolu l’énigme terrifiante de la mort, monstrée dans les virus, le dérèglement climatique, mais aussi dans la naissance de nos corps sains jusqu'à ce qu'ils ne le soient plus, nous n’aurons besoin que de clarté. Et si la technique ne sert pas la clarté, elle ne sert pas la vie et nous devons nous en débarrasser.
Seule la Poésie peut conclure: ce numéro 3 de {R} rend hommage à l'un de nos pères-fondateurs, Herman Hesse.