L'HARMONIE

 est le PREMIER aspect du Réel 

Est-ce que ça va mieux? 

Si vous lisez cet article, c’est que la mission de Revue {R}évolution est aussi la vôtre. Vous êtes curieux, sensible à toutes les formes d’expression de la sagesse et du beau: la nature, le mythe, la poésie (c’est-à-dire la musique), l’art, la métaphysique ou la philosophie.


Il y a fort à parier que vous aimez la Poésie parce que le mystère qu’elle exprime et qui rebute, effraie ou indiffère d’autres, vous attire, vous touche, vous est familier. Vous savez que tout est poétique et vous n’en avez pas la preuve. Vous cherchez quelque chose, même si vous ne savez pas ce que c’est. Vous êtes, peut-être comme Heidegger, mais à votre façon, «soucieux de la profondeur et de l’étendue de votre être au monde», c’est-à-dire en quête de complétude, minutieux dans l’exploration de ce qui vous préoccupe et vous interpelle, dans l'exploration de votre existence.

Poésie et Sattva 

Dans la philosophie Sāṃkhya ou Théorie des Substances, une école de philosophie indienne dont le but est d’analyser le réel, l’harmonie est la première des 3 forces qui aspectent le réel, la nature ou la conscience (prakriti). 


Ce principe–ou guna–harmonieux se nomme “Sattva” en sanskrit. Il est le bien, la quintessence du vrai. Est sattvique toute conscience faisant une expérience unifié (ou d’unité). Sattva est tout simplement l’aspect de la nature permettant de voir la poésie, c’est-à-dire l’unité de l'existence. Sattva est générateur de beauté, de calme, de clarté. 


Ainsi, la tendance évolutive de sattva est majoritairement positive. Examinons les tréfonds de notre inconscient partagé pour comprendre sa nature: allons en mythologie.

Si la mythologie exerce une telle fascination sur nos esprits, c’est parce qu’elle regorge d’histoires mettant en scène des personnages sattviques purs, incorruptibles, en quête constante d’harmonie, et prêts à perdre une part d’eux-mêmes, ou à se perdre littéralement pour que se manifeste la sagesse. 

"La vérité se révèle dans la beauté. Car si la beauté était un simple accident, une déchirure éternelle dans la trame des choses, elle blesserait et elle serait vaincu par l'antagonisme des faits.  La beauté n'est pas un fantasme, elle possède le sens éternel de la réalité (...) Telle est la religion du poète.


RABINDRANATH TAGORE

Polymathe et mystique bengali
Creative Unity, 1922

(La Religion du Poète)

Vous connaissez Odin, ou Wotan, le dieu des Valkyries, du Valhalla, l’inspirateur de L'Edda poétique et prosaïque, de Wagner, des Merlins, Gandalfs, Dumbledore et autres illustres barbus d’Occident. Ce Dieu nordique est borgne. Savez vous pourquoi? 


L’âme d’Odin (dont l’un des patronymes en vieux-norrois est l'auguste Alfadir, traduit joliment en anglais par «All-Father», le Père Entier, dirons-nous) était ravinée par une soif inextinguible de connaissance. Pour tenter de l'étancher, il offrit son œil à Mimir, un être étrange gardant le puits de sagesse cosmique au pied de l'arbre-monde Yggdrasil.


Un jour fâcheux, Mimir fut décapité par des Dieux revanchards. Le Père Entier ne répliqua point. Il se contenta de transporter la tête du géant-sage dans son palais d’Asgard.


Chaque jour, dans le secret de ses murs, Odin baignait cette tête sans vie de parfums précieux et d'herbes aromatiques en psalmodiant des incantations; faisait devant elle une geste mystérieuse et surnaturelle, réveillant ainsi la tête de Mimir, qui n'existât plus jamais que pour satisfaire la faim sans fin de sagesse du Père éternel.


En hindouisme, système philosophique, mythologique et religieux dont les historiens soupçonnent la naissance entre 2600 et 1900 avant notre ère, le processus par lequel on invite une divinité à demeurer dans un objet inanimé en la vivifiant par des offrandes et des incantations se nomme «pran pratishtha» et le rituel en question, «puja». Odin aurait donc pratiqué une puja, peut-être sans le savoir.


Autre récit ou plutôt, méta-récit procuré par l’hindouisme nous renseignant sur la nature de la motivation sattvique: les descentes en chair de Vishnou, la deuxième divinité de la trinité hindoue. Le rôle de Vishnou est de préserver et de faire évoluer la vie. 


Ainsi, lorsque la sagesse éternelle est mise en péril par les forces de l’ignorance, il amorce une descente, laissant sa divinité éthérique et invisible pour prendre chair (et donc faire l'expérience de la mort), créé dix avatars successifs de lui-même à chaque âge obscur, préserve et défend la sagesse, sans laquelle toute évolution devient impossible. 



"Votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant. (...) Je est un autre."


ARTHUR RIMBAUD

Poète & critique littéraire 
Les Lettres du Voyant, 1871

"La poésie, ce n'est pas un relâchement de l'émotion, mais une délivrance de l'émotion ; ce n'est pas l'expression de la personnalité, mais une délivrance de la personnalité. Mais seuls ceux qui ont une personnalité et des émotions savent ce que signifie vouloir être délivrés de ces choses, bien sûr."


T.S. ELIOT
Poète américain, polyglotte & critique littéraire

Tradition & Individual Talent, 1929

Et que dire de la quête du Graal des légendes arthuriennes? La recherche périlleuse d’un objet indescriptible source de toutes les abondances, de toutes les vertus et de tous les honneurs?


Sattva est le goût de connaître, coûte que coûte, l’attribut de la transcendance ultime, de l’incorruptibilité et de l’authenticité. Il est de loin, le plus positif des aspects évolutifs de la conscience parce qu’il augmente notre puissance d’exister, nous fait évoluer en affûtant notre faculté de juger, transforme la tendresse en posture existentielle. Toutes les intelligences confluent en sattva, tous les savoirs. 


Si nous avons utilisé le mythe pour comprendre le réel, c’est bien parce que malgré leur subtilité, le satoguna et ses deux autres comparses sont parfaitement identifiables dans l’expérience humaine. Ils sont le tissu des phénomènes exprimés par la conscience.


La phénoménologie occidentale a tant erré que plus personne ne sait ni où elle est, ni ce qu'elle dit et encore moins pourquoi elle le dit.


En théorie des substances, la conscience parle clairement parce que les gunas sont sa langue et que nous les connaissons, intimement, dans notre chair.


Ainsi, dans tout phénomène manifeste, observable, Sattva et les deux autres sont là. Une excellente nouvelle pour arpenter les chemins du réel (vivre), en admirer le paysage et s'en distancier le moment venu. 


Sattva vient du sanskrit sat-, « vérité» et -tva, «essence». Il est le premier attribut ou aspect de la conscience. 


Faire l'expérience durable de sa douceur lumineuse, le reconnaître et l'assimiler, sans passer par la chaleur vivifiante (puis brûlante) de Rajas et le froid inertiel de Tamas est impossible.

Murielle Mobengo

Sagesse sattvique de Victor Hugo dans
Boaz endormi


« Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière. »

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